Stup Virus, quatrième dose de vaccin

 

« Stupeflip Stupeflip c’est l’truc stupéfiant / Beaucoup d’travail comme pour un album d’Astérix » chantait King Ju en 2002. Depuis, Stupeflip a fait son petit bout de chemin. Insidieusement, en germe, le groupe mené par King Ju s’est érigé en membre du patrimoine hexagonal. Distillant petit à petit sa parole céleste et salvatrice, dans un rap game francophone éclaté.  

« Ils viennent de faire pleurer les Inrocks, mes ongles »

Dans l’imaginaire collectif, Stupeflip, c’est le groupe qui a trollé Ardisson et qui a accueilli Taddeï dans un taudis. Bref, un groupe qui aime à mettre en scène sa désinvolture. Pourtant, tout n’a pas toujours été rose pour le trio formé par Julien Barthélémy (King Ju), Stéphane Bellenger (Cadillac) et Jean-Paul Michel (MC Salo). Après s’être fait éjecter de leur maison de disque pour cause de faibles ventes en 2006, Stupeflip a connu une (longue) traversée du désert. Qu’importe, les enfants terribles du « hip-hop psychotrope » ont remis le couvert pour un quatrième album studio.

Des nouvelles de Pop-Hip

Fermenté dans l’appartement du 13e arrondissement parisien de Julien Barthélémy, Stupeflip est de retour pour un quatrième disque, Stup Virus. Totalement financé par les internautes (voir encadré) le « crou » déverse ses rythmes catchy en enchaîne les punchlines percutantes. « La feel good musique j’en ai rien à fout’ » annonce d’emblée le chanteur dans « Creepy Slugs », littéralement : « limaces effrayantes ». Un franglais affûté, une galerie de personnages hauts en couleur (le retour du célèbre Pop-Hip, rôtissant en Enfer, fera la joie des puristes), tout est réuni dans ce nouvel opus aux ritournelles efficaces.

La clé du mystère au chocolat

Epaulé par Sandrine Cacheton, voix synthétique teintée d’une mélancolie robotique, l’auditeur traverse un univers où se mêlent heroic fantasy et lyrics plus prosaïques. Le groupe se raconte à travers une (fausse ?) naissance du Stup Crou. En effet, celui-ci a toujours su cultiver un certain mystère autour de lui. Le morceau sobrement intitulé « 1993 » retrace la genèse d’une collaboration à l’image de son époque : les cassettes, la guitare d’un mec « qui s’est suicidé ». Sur cette grat’, un autocollant « The Stupefiant », qui signe « le vrai début de l’ère du Stup ». Serait-ce là une des fameuses « clés du mystère au chocolat », la clé de compréhension qui lierait tous les textes du groupe ? Début fantasmé ou vrai départ, le Stup ne cesse de se réinventer. Dès lors, la seule vérité est celle des rimes et des assonances.

« Influence dadaïste »

Allitérations, consonances et jeux de mots divers, voilà le programme de ce LP aux airs d’hagiographie post-apocalyptique. Perpétuelle répétition du même, les paroles se font hypnotiques. Volontairement cryptique, hermétique, autoréférentiel, le « crou » érige l’art de la boucle en ready-made musical. Les samples semblent faire écho aux obsessions parolières de King Ju : Casimir, Mylène Farmer, le « 4577 » (prononcer « quatre cinq sept sept »), la folie, l’enfance. Accumulation dadaïste. Néanmoins, ce déroulement incessant de monomanies peut perdre le néophyte. Concurrence est d’ailleurs faite à Batman dans leur tendance à renommer tout et n’importe quoi pour créer un stup-univers singulier : « stup virus » et autres « stup enfer » sont parfois stup-redondants.

Pénétrer dans Stup Virus,  c’est pénétrer dans un univers déjà bien fourni. Cela équivaut à commencer Le Seigneur des Anneaux par Le Retour du roi : possible, mais au risque de passer à côté d’une mythologie foisonnante. Heureusement, Julien Barthélémy et ses acolytes ont trouvé la parade. A l’instar des séries américaines, le disque nous réserve une sorte de previously in Stupeflip. « Retour en arrière » nous prévient l’interlude « Knights of Chaos ». Quitte à sentir le réchauffé ?

La fin du crou ?

Glosant à l’envi sur sa propre fin, fantasmant depuis toujours sur l’Apocalypse, le crew brûle ses dernières cartouches. Ultime spasme auditif, le morceau « Pleure pas Stupeflip », feint des adieux déchirants, aux airs de synthés mélancoliques à la Christian Zanési : « Au revoir… Je commence à en avoir marre d’être derrière l’ordinateur… C’est fini… ». Explication est donnée aux Inrocks : « Le délire de dire au revoir, on l’a fait cent fois », s’amuse King Ju. « Le crou ne mourra jamais » prophétisait-il d’ailleurs dans un morceau éponyme, en 2003…

« Lapin clique sur Ulule, se transforme en hibou » : le croufounding

Autoproclamés « terroristes bienveillants », les membres de Stupeflip ont fait la nique à l’état d’urgence musicale et ne se sont pas pressés pour sortir Stup Virus, six ans après The Hypnoflip Invasion (2011). Entièrement financé par les internautes, le dernier album a récolté 427.972€, sur un objectif initial de 40.000€ ! Bienheureux les crowdfounders, puisqu’une Flip Party est organisée le 16 septembre, à tarif préférentiel pour les « hiboux ».

Conscient d’avoir un public jeune et connecté, le groupe de « rap, rock et variété » a tout de même posté exclusivement sur YouTube un morceau intitulé « Pour les zouzs ». Zouzs de tous bords, unissez-vous !

Vincent Bilem